Le visage tourné vers la masse humaine difforme et endormie que nous formions, cinquantaine de corps recrovillés et tordus dans des sièges étroits et rugeux, le chauffeur a empoigné son micro d’une main enthousiate et affamée : « Mont-Laurier. Arrêt de 30 minutes. » Il est 2h05 du matin et le nez plat de l’autobus fait face à La Lanterne, embrumé restaurant license complète dont l’enseigne, plantée au milieu d’un décor triste et crasseux, jète 24 heures par jour 7 jours sur 7 une lumière fade sur l’asphalte rapiécée du boulevard Albiny-Paquette.
Les yeux bouffis et les cheveux en bataille, je pousse la lourde porte du minuscule casse-croûte et me dirige droit vers les toilettes. Mixte, la file est déjà longue et, l’attente replongeant mon cerveaux dans l’univers confus duquel on venait à peine de le sortir, je ne peux m’empêcher de rêvasser à cette Rouyn du présent, envahie et fébrile… J’aurais voulu y être déjà, pour vivre cette première nuit d’excitation et de décibels, arpenter les rues peuplées de la belle de cuivre, goûter son houblon et sentir sa sueur nouvelle, m’éclater les tympans jusqu’à l’aube au son gras et écorché des guitares des Revenants. Cette bande extraordinaire dont les airs arides et atemporels coulent dans mes oreilles depuis deux jours, date à laquelle par une nuit chaude et mouillée, un des quatre spectres déposait dans ma boîte aux lettres la matérialisation de mille heures de rock’n’roll et d’autant de disciplinés efforts – cinq titres qu’ils enfileront par ailleurs devant les rideaux rouges de la Sala Rossa le 16 septembre prochain. Me reste 300 minutes d’insomnie à écouler le cul coinçé entre deux acoudoirs. Music is your only friend.