LE VRAI POWER

Un texte de Maude Labrecque-Denis

On se souvient de l’esprit de combat, des fleurs jaunes qui volaient dans le vent. Des roses perçants qui s’imposaient à nos sens, l’air de crier « je suis là, et je ne me cacherai pas ». On se souvient de ces talons à l’aiguille violente qui, de leur posture amazonienne, revendiquaient le droit à l’assumation. Et de cet animal, immense et rugissant, qu’on ne pouvait ni éviter, ni ignorer.

Cette année, toujours sous l’œil avisé de Karine Berthiaume, le FME revêtait les couleurs d’une arène; celle d’un féminisme assumé et actuel qui accepte le prix d’être ce qu’il est. Un cadeau symbolique livré par Martine Savard, créatrice de My Power (œuvre-phare de l’édition 2019 tirée de sa série Les Lutteuses) et Martine Frossard, réalisatrice de la bande annonce.

Crédit photo: Louis Jalbert
Une réalisation de Catherine Laroche et Camille Lasselin

MY POWER IS YOUR POWER

Pour concevoir la série Les Lutteuses, Martine Savard s’est inspirée des nombreuses femmes qui ont combattu pour faire cheminer la cause féministe à travers les années. « Dans cette série-là, il y a l’idée des lutteuses, mais c’est aussi pour dénoncer l’abus social du corps de la femme, du rôle de la femme, de la place de la femme. La place de la femme dans notre société », lance Martine Savard en sirotant son thé. Criminalisation de l’avortement. Port du voile. Dictats de la mode. Chirurgie esthétique. Le corps féminin est soumis à plusieurs doctrines, souvent contradictoires, pour lesquelles chacun y va allègrement de son opinion. « Il y a une pression sur la femme. Il y a beaucoup de provocation aussi. Et ça se retrouve dans Les Lutteuses. C’est pas pour rien que j’en ai fait une qui a une poche sur la tête, une qui a une roche dans les mains et une autre qui est déguisée en Batman! », s’exclame l’artiste. En effet, quand on observe les œuvres qui composent la série, on ne peut s’empêcher de noter une certaine dérision, qui pourrait même être qualifiée d’arrogance. Une « provocation libératrice ».

Pour Martine Frossard, la boxeuse de My Power incarne une certaine radicalité. « Quand j’ai vu l’œuvre pour la première fois, j’ai beaucoup aimé que le personnage porte des talons hauts. C’est absurde de mettre des talons hauts pour se battre, mais le fait de faire ce choix et de l’assumer lui donne de la valeur, et ça devient un choix puissant » explique-t-elle. Intéressée par l’état mental du personnage plus que par le combat lui-même, l’artiste a choisi d’orienter le déroulé narratif de la bande annonce autour de la préparation. « Pour moi, l’habillage est un rituel. C’est un acte conscientisé. C’est se parer pour affronter les choses, comme mettre une peinture de guerre. »

La position singulière du personnage a aussi interpellé Martine Frossard. « Elle est à la fois prête à combattre, et reste décontractée en même temps. Ses bras sont baissés et la position de son corps est légèrement affaissée. C’est énigmatique. », mentionne-t-elle.

Énigmatique, oui. Parce que les œuvres de Martine Savard ne visent pas à représenter, mais plutôt à évoquer « l’essence de l’être ». « Je pars des sentiments. Comment traduire la honte, comment traduire la résilience, comment traduire ça? Tsé moi, c’est pas figuratif, c’est semi-abstrait », explique l’artiste. Ainsi, My Power n’est pas un combat. C’est un soupir, un moment figé dans le temps où on vit notre fatigue devant les obstacles autour, sans lâcher prise. « C’est comme une pause avant de relever les bras et de poursuivre le combat. »

Et la panthère, elle? Pour Martine Savard, c’est le trucs qui te traîne toujours dans les pattes, qui t’enfarge et te ralentit dans le combat à mener (le personnage de My Power se bute d’ailleurs à la crotte de l’animal). Pour Martine Frossard, c’est une partie du personnage, le reflet de son état d’esprit dans l’anticipation, l’impatience face au combat qui vient. Une sorte d’agressivité qui monte en réponse au calme et au contrôle inhérents au rituel de préparation.

Quand on y pense, les visions de Martine Savard et de Martine Frossard se parlent de magnifique façon; combinées, elles expriment le mince équilibre de l’être face aux obstacles qui se dressent.

Et ci c’était ça, le VRAI power?

8-9-10… K.O.

Au FME, le power au féminin s’est incarné par la présence de nombreuses artistes qui ont offert au public des performances pugnaces, parfois même belliqueuses – mention spéciale à Jeanne Added et Naya Ali ici.

Crédit photo: Christian Leduc

On pense aussi à l’équipe d’organisation du FME, 100% féminine, qui a mené un combat – sans doute féroce – pour nous offrir cette édition coup-de-poing. Merci les filles, et prenez donc une petite pause bien méritée pour reprendre votre souffle… et mieux reprendre le combat pour l’an prochain. ;)

Crédit photo: Christian Leduc

PLAIDOYER POUR L’ERRANCE CITOYENNE ACCEPTABLE

Un texte de Maude Labrecque-Denis

« Un droit que bien peu d’intellectuels se soucient de revendiquer, c’est le droit à l’errance, au vagabondage. Et pourtant, le vagabondage, c’est l’affranchissement, la vie le long des routes, c’est la liberté. »

Isabelle Eberhardt, exploratrice, journaliste et écrivaine, 1877-1904

Tes talons hauts te font de l’œil? Laisse-moi ça dans l’garde-robe pis enfile tes running les plus confo, parce qu’au FME, tu vas en marcher une shot. Sneakers, sac banane, bock en plastique et coton ouaté est le kit privilégié du festivalier qui part nonchalamment à l’abordage des mille recoins d’un beau petit patelin d’Abitibi pour y chiller abondamment le temps d’un weekend (#onesttubendansnoscotonsouates).

Sur la 7e, sur la Murdoch, à la Guinguette, au centre-ville… durant 4 jours, chaque parc, chaque trottoir, chaque ruelle et chaque terrasse accueille l’occasion de prendre un moment off, pas pour faire de quoi mais juste pour être là.

À bas la sacro-sainte productivité qui mène toutes les sphères de nos vies, jusqu’à nos loisirs!

Pas besoin d’avoir un but, une finalité ou un projet pour exister; on peut juste être là, aussi. Être là pis écouter. Être là pis profiter, s’ouvrir, ressentir. Avec nos amis, nos enfants, nos amours… avec des gens qu’on connaît depuis tout le temps, d’autres qu’on a rencontrés la veille, ou même tout seul (la bonne compagnie ne connaît pas le jugement).

Au FME, la musique, c’est une raison d’être ensemble, pis de célébrer une sorte de rejet partagé de la morosité. Du pur plaisir, où on veut et quand on veut, parce que l’espace urbain nous appartient, pis que le party ne connaît pas de frontière.

À la Guinguette chez Edmund
Au Parc Botanique à Fleur d’Eau
Sur la Murdoch même quand la salle est pleine
À l’Agora des Arts
Sur la 7e rue
Et encore sur la 7e rue
Et TOUJOURS sur la 7e rue!

Au FME, ma ville est FARNIENTE, MOUVANTE, ENVAHISSANTE.

Les ados, ils ont compris ça eux-autres. Ils se rassemblent tous les soirs au même endroit, en ayant semi le droit d’être là, sans aucune autre motivation que leur désir d’être ensemble. Y’en a qui finissent ben puckés, d’autres qui mettent à exécution des plans pas trop brillants… mais quand on y pense, c’est ce qui solidifie le tissu social d’une génération. C’est pas rien! 

Le FME, c’est un peu ça. C’est comme avoir 15 ans le temps d’un weekend, partager des moments d’extase et de folie passagère, pour être plus soudés demain (sauf le lundi matin, là on est normalement en convalescence ponctuelle pis on feel un peu moins l’esprit de communauté).

Pour moi, le FME, c’est l’occasion de prendre d’assaut ma ville, de me remplir les oreilles de sonorités de tous les styles et de vivre à fond la vibe du moment. L’énergie ambiante se transforme en pulsion. La fatigue, en recueillement. Cette « bulle passagère » devient une inspiration (dans tous les sens du terme), et elle génère en moi un satisfaisant sentiment de communauté, et de liberté. 

Si la ville est à nous, si la musique nous rassemble; si on a envie de rien de précis pis qu’on s’autorise à l’avoir; si on conçoit que tout est à tout le monde, pis qu’on prend plaisir à l’incarner; si on a envie de le vivre avec ceux qui sont là, alors je déclare ouvertement le FME « emblème de l’errance citoyenne acceptable ».

Errance : « Action d’errer, de se déplacer sans but. » (définition : Le Parisien)