Un texte de Maude Labrecque-Denis
On se souvient de l’esprit de combat, des fleurs jaunes qui volaient dans le vent. Des roses perçants qui s’imposaient à nos sens, l’air de crier « je suis là, et je ne me cacherai pas ». On se souvient de ces talons à l’aiguille violente qui, de leur posture amazonienne, revendiquaient le droit à l’assumation. Et de cet animal, immense et rugissant, qu’on ne pouvait ni éviter, ni ignorer.
Cette année, toujours sous l’œil avisé de Karine Berthiaume, le FME revêtait les couleurs d’une arène; celle d’un féminisme assumé et actuel qui accepte le prix d’être ce qu’il est. Un cadeau symbolique livré par Martine Savard, créatrice de My Power (œuvre-phare de l’édition 2019 tirée de sa série Les Lutteuses) et Martine Frossard, réalisatrice de la bande annonce.
MY POWER IS YOUR POWER
Pour concevoir la série Les Lutteuses, Martine Savard s’est inspirée des nombreuses femmes qui ont combattu pour faire cheminer la cause féministe à travers les années. « Dans cette série-là, il y a l’idée des lutteuses, mais c’est aussi pour dénoncer l’abus social du corps de la femme, du rôle de la femme, de la place de la femme. La place de la femme dans notre société », lance Martine Savard en sirotant son thé. Criminalisation de l’avortement. Port du voile. Dictats de la mode. Chirurgie esthétique. Le corps féminin est soumis à plusieurs doctrines, souvent contradictoires, pour lesquelles chacun y va allègrement de son opinion. « Il y a une pression sur la femme. Il y a beaucoup de provocation aussi. Et ça se retrouve dans Les Lutteuses. C’est pas pour rien que j’en ai fait une qui a une poche sur la tête, une qui a une roche dans les mains et une autre qui est déguisée en Batman! », s’exclame l’artiste. En effet, quand on observe les œuvres qui composent la série, on ne peut s’empêcher de noter une certaine dérision, qui pourrait même être qualifiée d’arrogance. Une « provocation libératrice ».
Pour Martine Frossard, la boxeuse de My Power incarne une certaine radicalité. « Quand j’ai vu l’œuvre pour la première fois, j’ai beaucoup aimé que le personnage porte des talons hauts. C’est absurde de mettre des talons hauts pour se battre, mais le fait de faire ce choix et de l’assumer lui donne de la valeur, et ça devient un choix puissant » explique-t-elle. Intéressée par l’état mental du personnage plus que par le combat lui-même, l’artiste a choisi d’orienter le déroulé narratif de la bande annonce autour de la préparation. « Pour moi, l’habillage est un rituel. C’est un acte conscientisé. C’est se parer pour affronter les choses, comme mettre une peinture de guerre. »
La position singulière du personnage a aussi interpellé Martine Frossard. « Elle est à la fois prête à combattre, et reste décontractée en même temps. Ses bras sont baissés et la position de son corps est légèrement affaissée. C’est énigmatique. », mentionne-t-elle.
Énigmatique, oui. Parce que les œuvres de Martine Savard ne visent pas à représenter, mais plutôt à évoquer « l’essence de l’être ». « Je pars des sentiments. Comment traduire la honte, comment traduire la résilience, comment traduire ça? Tsé moi, c’est pas figuratif, c’est semi-abstrait », explique l’artiste. Ainsi, My Power n’est pas un combat. C’est un soupir, un moment figé dans le temps où on vit notre fatigue devant les obstacles autour, sans lâcher prise. « C’est comme une pause avant de relever les bras et de poursuivre le combat. »
Et la panthère, elle? Pour Martine Savard, c’est le trucs qui te traîne toujours dans les pattes, qui t’enfarge et te ralentit dans le combat à mener (le personnage de My Power se bute d’ailleurs à la crotte de l’animal). Pour Martine Frossard, c’est une partie du personnage, le reflet de son état d’esprit dans l’anticipation, l’impatience face au combat qui vient. Une sorte d’agressivité qui monte en réponse au calme et au contrôle inhérents au rituel de préparation.
Quand on y pense, les visions de Martine Savard et de Martine Frossard se parlent de magnifique façon; combinées, elles expriment le mince équilibre de l’être face aux obstacles qui se dressent.
Et ci c’était ça, le VRAI power?
8-9-10… K.O.
Au FME, le power au féminin s’est incarné par la présence de nombreuses artistes qui ont offert au public des performances pugnaces, parfois même belliqueuses – mention spéciale à Jeanne Added et Naya Ali ici.
On pense aussi à l’équipe d’organisation du FME, 100% féminine, qui a mené un combat – sans doute féroce – pour nous offrir cette édition coup-de-poing. Merci les filles, et prenez donc une petite pause bien méritée pour reprendre votre souffle… et mieux reprendre le combat pour l’an prochain. ;)