Un texte de Maude Labrecque-Denis, avec une photo de couverture de Dominic Mc Graw
Depuis 15 ans, il passe de show en show, se glisse à travers la foule, guidé par la lumière, pour reconstruire en fragments un festival qui ne se laisse pas dompter si facilement. Rencontre avec le photographe Christian Leduc.
On va commencer avec la grande question : c’est quoi pour toi le FME?
CL : Ça représente des moments. Nous on peut aller partout, les accès restreints et les shows cachés on peut y aller. De mon point de vue à moi, oui c’est les artistes qui font le festival, mais sans public y’a rien! Y’a pas de de spectacle!
Tout ce rapport-là communauté/festival, c’est pas l’organisation qui se sont dit « on va faire un festival chaleureux », je pense que ça s’est fait naturellement. Tous les visiteurs le disent qu’ici ils se sentent bien accueillis, on aime ça recevoir le monde. Sérieusement, je trouve que le public est assez exceptionnel, qu’il apprécie beaucoup.
C’est vrai que la vibe est bonne.
CL : T’es là pis tu cherches un spot pour prendre une photo mais la salle est pleine à craquer. Même après toutes ces années-là, je me sens gêné de ça. Je m’excuse tout le temps. J’me promène avec mes kodaks, chui gros pis je prends de la place. Tu peux pas accoter l’appareil sur la tête de quelqu’un, tu fais un clic pis ça pop dans ses oreilles… mais des fois, le monde te voient aller alors ils te font un signe, ils te laissent la place!
Tu veux vraiment pas déranger…
CL : Je fais toujours attention pour respecter le public, parce que eux ils ont payé pour voir le spectacle. Tu fais une job où tu as besoin de faire des photos, mais tu n’as pas à prendre la place du spectateur ou à déranger le spectateur. J’en ai vu des photographes dans des shows qui se plantent à une place, ils restent là tout le long. Le monde sont tous assis pis lui il est debout en avant de toi… non, ça marche pas. Faut avoir cette sensibilité là pour rendre l’expérience de tout le monde agréable. Moi, ce qui me turn off le plus, c’est de voir 50 kodak à la même place, au même show. Je prends un téléobjectif pis je m’en vas pas dans ce bunch de monde-là. Cet espèce de sentiment-là de… je veux pas être une nuisance en fait. Je veux faire ma job, mais je veux être effacé.
Qu’est-ce que tu recherches quand tu arrives dans une salle?
CL : En premier, je regarde la lumière disponible, parce que dans les petites salles il n’y a pas trop de lumière. Si l’artiste n’est pas trop éclairé mais qu’il y a une fenêtre pas loin… tu t’arranges juste pour pas être trop à contre-jour. Ça peut être beau un contre-jour, mais si tu veux voir la face de l’artiste, si tu veux voir le public, tu peux pas faire juste des close-up du chanteur. Pour le festival, c’est important de montrer la quantité de gens qui sont là et qui apprécient le spectacle. Des fois, c’est bon de prendre des plans larges, des plans de groupe, des fois juste la foule. Ou bien des petits détails. Il y a quelqu’un qui écoute le show et qui a son bock FME, tu vas faire un close-up sur le bock pis tu sens qu’il y a quelque chose qui se passe en arrière sur la scène. Ça fait des shots du genre « ah oui, ça c’est l’année du bock rose! »
Il y a aussi le côté « 7e rue ». Le monde se pointe là même s’il n’y a pas de spectacle parce qu’il y a des activités, des maquillages pour enfants, il y a un DJ. C’est vraiment le fun, tu te promènes, la rue est barrée, tu prends une petite bière, tu vas jaser avec le monde… c’est relax, ils font juste chiller. Il y a des chiens qui sont là, avec un carosse à bébé… shot anodine, mais ça montre que le monde sont là, qu’il se passe de quoi.
Est-ce que tu es libre de ce que tu prends en photo?
CL : On est libres dans le choix de ce qu’on prend sur place. C’est notre vision, ça reste qu’on signe la photo faque si tu fais une photo de marde c’est ton nom qui est là pareil! C’est sûr qu’on cherche tout le temps un peu la petite magie qui va arriver, mais on peut pas tout le temps attendre ça justement à cause de la quantité de shows. On a la consigne de prendre en photo tous les shows, un moment donné faut livrer nos photos.
Le FME a une façon particulière de fonctionner; on est engagés par le festival, pis on « donne » nos photos. Elles sont au FME, pis tous les journalistes qui assistent aux spectacles et qui veulent faire un article peuvent aller voir dans la banque de photos. Elles servent à la promotion du festival, aux critiques, alors c’est super important pour nous, avant de quitter le soir, d’avoir mis toutes les photos de la journée. S’il y a un journaliste qui arrive, il veut une photo mais elle n’est pas rentrée parce qu’on est parti se coucher, ça se peut qu’on aie un petit texto!
Ça arrive aussi des fois que tu pognes un artiste « viens-tu faire un petit shooting? » Souvent, les agents aussi vont avoir les mots de passe des galeries, ils vont pouvoir les récupérer. Des fois, on peut revendre des photos à un média, mais c’est pas ça le but. On est déjà payés pour le faire, pis c’est une job qui est quand même assez le fun.
Depuis les années, quelles sont tes photos préférées, celles où tu te dis « ah oui, là il se passe quelque chose »?
Des fois, ça arrive qu’on tombe sur un moment magique. Je pense au show de Pat Watson où ils avaient apporté un piano sur la track de chemin de fer… ça c’était vraiment particulier. Pour moi, ces shots-là, elles représentent vraiment le FME : une gang qui se réunissent pour tripper ensemble, pour chiller. L’esprit de communauté.