Archives de catégorie : Quartiers d’hiver 2017

Thématique

Je fais partie d’un regroupement qui a pour objectif de faire remonter la polka cet ordre mondial de la musique moderne cette danse déchéance rythmée qui frappe sur le top de son cercueil afin de sortir des six pieds et prendre sa place sur la page d’accueil des sites de streaming un million d’écoutes sur Internet contre une pinte de Budweiser je peux te parler de ce spectacle en ‘67 tu n’y étais pas tu n’étais pas née je pense que tu n’étais pas née je m’effondre à la simple idée que tu ne pourras jamais vivre le feeling de ce spectacle ils ont fait deux rappels un grand moment pour la polka à l’échelle internationale la République tchèque a vibrée de l’intérieur comme une jeune fille dont j’ai oublié le nom c’était en ‘67. Quand même.

Je suis une artiste pluridisciplinaire j’exerce plusieurs disciplines cette année j’ai décidé de faire vomir un arc-en-ciel de la bouche d’une truite mouchetée pêchée aux abords du lac Ontario le poisson doit être heureux d’abord et avant tout zen sinon il va régurgiter qu’uniquement la haine prisonnière de son système digestif la haine accumulée pour les pêcheurs qui ont atteint leur quota mais qui continue pour les pêcheurs qui se racontent des histoires cochonnes sur un canot qui prend l’eau à cause du poids des caisses de bière pour les pêcheurs qui ont pêchés dans le sens diabolique du terme la frustration de ne pas avoir été retenu pour la couverture de Nikolski par exemple moi j’ai vomi la semaine dernière et ce n’était pas un arc-en-ciel mais bien l’absence d’une épicerie au centre-ville le manque de financement pour les OSBL de la région et le son de l’industrie de la musique québécoise qui crash à mesure que Beyoncé se brasse le derrière sur un BPM de marteau piqueur de chantier de construction dont le mandat a été obtenu sur un terrain de golf entre deux grosses poches nommées dans la catégorie crise cardiaque dans la quarantaine avancée on peut toujours faire quelque chose moi je peux faire plusieurs choses je suis une artiste pluridisciplinaire. Au pluriel.

Je viens tout juste de frencher avec une fille que je n’ai jamais vu et que je ne reverrai jamais parce que j’ai perdu mes lunettes pendant le show hardcore au Petit Théâtre j’ai flirté avec un flou gaussien qui se clarifiait à mesure que l’axe des Z tombait dans le négatif la texture fleurit de sa blouse avait des airs de feux d’artifices je voulais tellement vivre de quoi aux Quartiers d’hiver et c’est en me privant de mes yeux que j’en ai eu plein les oreilles dans l’excitation j’ai fait mon premier stage dive alors que la foule ne voulait pas avoir la responsabilité de tenir mon être et mes avoirs je suis tombé entre deux indécis et j’ai défoncé le plancher du théâtre et une partie de la croûte terrestre par le fait même je me suis relevé entre deux plaques tectoniques j’ai entendu mon beau-père broncher pour la fissure dans le béton de son garage et j’ai démarré un kickstarter pour payer les dégâts j’ai ramassé 250 000$ pas pire pour un jeune garçon myope comme une taupe. J’ai frenché.

Je me spécialise dans la conception de systèmes automatisés brillamment désorganisés. Je stationne mon bloc de glace devant ma boîte à musique je ne suis pas une pub du Canadian Tire pour autant j’entre et j’écoute le reportage en quatre tiers sur ma seize neuf dévoilement de la programmation par un homme et une femme vêtus de noir col roulé cotton ouaté represent sans doute un band suédois glauque et funéraire spécialiste de la guitare piano et des présentations multimédias interactives je prends un step back par rapport à la télé je vais fumer mon anxiété sur le balcon je regarde à l’horizon je me sens bien je me sens zen soudainement l’air de mes poumons se mélange au bulletin de nouvelles de 19h je recule d’un pas le dos arqué et je vomis abondamment des teintes de bleu vert jaune et rouge. Les couleurs se touchent mais ne se mélangent pas.

Brillamment désorganisé.

La macarena VS Bernie Sanders

Je considère à 32 ans avoir assez entendu la chanson La macarena pour toute une vie. Il me semble y avoir un décalage passablement inquiétant entre l’intérêt de la pièce et son taux de diffusion outrancier. C’est pas le seul exemple : il en existe des tas de chansons comme ça, à la qualité artistique négligeable qu’on essore à grands coups de partys de bureau pasteurisés. Je ne souhaite pas faire de ce billet une agression dirigée vers tous ces disc-jokeys qui contribuent à pomper de grasses redevances vers des ayants-droits à la richesse déjà indécente. No-non. Ce que je souhaite plutôt, c’est montrer que l’occupation opulente de ce genre de vide bien symétrique dans notre espace culturel nous éteint sournoisement, entrave notre ouverture, alors que l’art pourrait justement nous permettre de nous rassembler, éveiller, témoigner de réalités. Toutes les réalités. Puis, c’pas comme si le Québec pouvait se permettre d’être au-dessus de ça en ce moment.

Ne me lisez pas sur le ton de la condescendance. J’essaie d’utiliser l’étiquette un peu suffisante de « matante » juste quand c’est vraiment mérité et estime que le divertissement léger tient un rôle essentiel dans un monde où l’anesthésie psychologique peut parfois se révéler comme un besoin fondamental. J’adhère à l’idée qu’un petit Meat Loaf bien placé dans un party, ça peut faire exploser le taux de dopamine général. Toutefois, je constate un réel déséquilibre entre l’espace encombré par toutes ces propositions inoffensives, sédatives, qui exhalent la nostalgie d’un passé surestimé, et celle d’une offre audacieuse, contemporaine, avec une réelle substance. Il me semble qu’il y en a beaucoup de temps d’antenne pour des vedettes qui se font deviner un mot collé dans le front. Sans doute autant que ces chaînes de restaurant qui goûtent toutes pareil. C’est rassurant de savoir que tu peux manger le même-même BLT à Beloeil et à Trois-Rivières, han?

Je ne suis pas trop du genre conspirationniste mais des fois, je me dis que ça doit bien arranger quelqu’un cette homogénéisation tranquille, ce conditionnement à ne jamais déranger, à manger sa salade de patates sur un petit YMCA. Ça doit bien servir quelqu’un qu’on s’étouffe la curiosité collective, l’ouverture à l’autre, à l’expérience; Qu’on se marie à l’église les doigts, au dos, croisés pour pas faire de peine à grand-mère; Qu’on parle pas de politique à table pour ne pas heurter la parenté (tout en ignorant les petites blagues tendrement misogynes et racistes qui y passent); Qu’on se garde d’utiliser cette épice venue d’ailleurs pour ne pas effrayer personne au potluk. À force de s’inhiber, à tout vouloir lisser pour fitter le milieu, à taire les dissidents, on l’exacerbe le fossé à pas se comprendre.

« La vision d’hommes blancs de 50 ans est largement sous-représentée » n’a jamais dit personne. Pas de leur faute à eux : C’est l’étouffant paradigme mercantile selon lequel il faut crinquer les cotes d’écoute, pacter les théâtres, décupler les produits dérivés qui fait qu’on s’adresse toujours au plus grand nombre, au Québécois le plus normatif possible. Tu te demandais comment le Caboose band avait fait pour sortir de l’Auberge? Voilà. Si on voulait réellement connaître le monde dans lequel on vit, c’est pas juste au mode de scrutin qu’on devrait appliquer le principe de la proportionnelle… Il me semble évident que la diversité sous toutes ses formes est déficitaire dans l’espace public par rapport à la place qu’elle occupe réellement dans notre monde. Malgré la récente mise en ondes de Barmaids, les minorités font du trou.

Je crois qu’on sous-estime la capacité des gens à voir, comprendre, entendre la différence, la nouveauté, la dissonance. Ils sont capables d’en prendre pas mal plus qu’on leur en donne. Il paraîtrait que ce qu’ils veulent, c’est de voir toujours les mêmes faces (idéalement blanches et bien hydratées), se faire servir toujours les mêmes jokes subtiles comme des extensions de cils cheap, entendre toujours les mêmes chansons de trois minutes et demi avec trois refrains, un bon bridge et une voix mixée ben en avant. Pourtant, étonnamment, ça fait quelques exemples électoraux frappants qui nous démontrent que le fameux « monde », ce qu’il veut, c’est pas juste du réconfort. Ça l’air que le changement, il est capable de le digérer, que les cassettes standardisées, il en est un peu tanné. Je pense même que Bernie, il aurait sans doute pu l’écraser Donald si le monde avait eu confiance dans le monde.

Et l’organisation de Quartiers d’hiver, elle, elle y fait confiance au monde. Elle y croit qu’on peut, à l’extérieur de Montréal de surcroît, être capables de curiosité et venir entendre ça des artistes « émergents » (i.e. qui passent pas à TV) sans auto-tune, sans robe en viande, sans décor incliné à 22.5 degrés. Faisons confiance au peuple. Respectons-le et cessons de l’humilier à le faire danser la macarena. On s’en portera tous mieux.